La Cène
Ce tableau mural, exécuté
à l’aide d’une technique peu durable – la peinture à la détrempe
- a présenté dès le 16e siècle les premiers
signes d’altération que d’incessants travaux de restauration n’ont
pas encore réussi à stopper. L’œuvre n’a rien perdu de son
effet impressionnant malgré le mauvais état du tableau. La
dernière restauration a éliminé les repeints de la
nature morte sur la nappe, rendant aux couleurs leurs nuances, leurs valeurs
plastiques et leurs tons de clair-obscur.
Maintes fois recopiée,
recréée et reproduite, cette œuvre est restée la variante
la plus connue sur ce thème.
Comme les artistes florentins
avant lui, Léonard a placé la Cène dans un espace
théâtral construit d’après les règles de la
perspective centrale. Les lignes de perspective se rejoignent dans l’œil
droit du Christ, ce qui souligne à nouveau sa position centrale
dans la composition et dans l’espace pictural. L’artiste se concentre sur
l’instant où Jésus est assis à table avec ses disciples
et va annoncer : « En vérité, je vous le dis, l’un
de vous va me livrer. » ( Matth. 26 : 21 ). Presque tous les disciples
expriment alors leur surprise et leur effroi par différents gestes
et réactions : en bout de table, à gauche, Barthélémy,
irrité, se lève de sa chaise ; à côté
de lui, Jacques le Mineur et André lèvent, étonnés,
les mains au ciel. Pierre se lève également de son siège
et se tourne, le visage courroucé, vers le centre du tableau. Devant
lui apparaît Judas, qui recule, effrayé, touchant de sa main
droite la bourse contenant l’argent de sa trahison.
Pour la première fois
dans l’histoire des représentations de la Cène après
le Moyen Age, Judas n’est plus assis devant, mais derrière la table.
Il est de ce fait, tout près de Jean, qui réagit avec retenue
( il ne connaît pas encore le traître ), regardant devant lui,
méditatif, les mains jointes. Jésus lui-même, tout
aussi impassible, occupe une position centrale au milieu de tableau et
devant une fenêtre. Il est flanqué de l’autre côté
par deux autres groupes composés chacun de trois disciples : Thomas,
Jacques le Majeur, Philippe, ainsi que Matthieu, Thaddée et Simon.
A l’encontre de ses contemporains
peintres, Léonard rend l’action dynamique aussi bien en répartissant
les douze apôtres en quatre groupes différents, qu’en représentant
de manière exactement calculée les gestes et ls mimiques
de chaque personnage.
Des relevés, des
idées esquissées et les dessins préliminaires pour
la Cène, ainsi que quelques récits de témoins oculaires,
documentent les efforts considérables que l’artiste a dû fournir
pour obtenir de multiples effets particulièrement expressifs de
gestes et mimiques. Ainsi, l’artiste a cherché à Milan et
ses environs, des types de visages correspondant aux différents
apôtres, et a même cherché des modèles appropriés
pour les représentations des mains. Cette préparation minutieuse
se lit dans les études intensives des physionomies de Jaques le
Majeur, Judas et Philippe.
Sur le plan artistique,
Léonard a même emprunté de nouvelles voies pour réaliser
la composition, en répartissant les douze disciples en groupes de
trois personnes, condensant l’atmosphère déjà chargée
d’émotions.
Cette répartition
en groupes ne se rattache pas uniquement aux efforts de Léonard
pour dramatiser l’événement, mais aussi au lieu dans lequel
se déroule La Cène.
Trois lunettes forment avec
le tableau le haut du mur du réfectoire, et cette répartition
influence aussi le rythme ternaire des groupes placés en dessous.
Les apôtres, aux deux extrémités de la table, se trouvent
en dessous des deux plus petits arcs, les deux groupes intérieurs
et le Christ sont ensemble sous l’arc central. Les lunettes elles-mêmes
comportent des ornements végétaux et héraldiques entourés
d’armoiries, peintes a secco. Au milieu, se trouvent les armoiries de Ludovico
Sforza, le maître d’ouvrage, associées à celles de
sa femme Béatrice d’Este. A gauche, apparaissent les armoiries de
Massimiliano, son premier-né et à sa droite, celles de Francesco,
son fils cadet.
Si l’on songe que Ludovic
avait fait transformer l’église attenante de San Maria delle Grazie
en tombeau funéraire pour sa famille, La Cène de Léonard
est à considérer non seulement comme un exemple artistique
d’innovation et de force créative, mais aussi comme un document
dynastique du maître d’ouvrage.
|